Cher auteur,

La vie d’un auteur est émaillée de déceptions.

Lorsque vous écrivez un livre, elles peuvent être de plusieurs sortes :

  • Votre super idée de série tombe à plat au bout de quinze pages.
  • Le livre dans lequel vous avez mis tout votre cœur est refusé par tous les éditeurs.
  • Les énormes efforts de marketing que vous avez fournis n’aboutissent qu’à une maigre dizaine de ventes (et la plupart viennent de vos amis).
  • Vous réussissez à installer de la régularité dans votre pratique mais il suffit d’un rien pour qu’elle s’écroule (et vous avez l’impression de repartir à zéro).
  • Vous avez réussi à vendre votre livre mais personne ne vous fait de retour (et vous vous dites que c’est forcément parce qu’il est nul).
  • L’éditeur qui semblait super enthousiaste au début de votre projet ne s’occupe pas du tout du livre depuis qu’il est sorti.

À chaque fois, c’est la boule au ventre en découvrant que votre manuscrit n’est pas accueilli comme vous l'espériez.
Et la boule ne vient pas seule, un cortège cinglant de doutes et d’autocritique l’accompagne : « je suis nul », « ça ne sert à rien d’écrire ? », « pourquoi je m’inflige ça ? », « de toute façon, je ne suis pas fait·e pour ça », et autres « je n’aurais même pas dû commencer ».
Alors c’est sûr : les résultats décevants peuvent être un coup dur pour notre ego et notre motivation, mais ils ne doivent pas définir notre parcours littéraire.

Chaque déception peut, avec quelques efforts, devenir une pierre de plus dans la construction de votre pratique créative. Si vous voulez que votre parcours d’auteur s’inscrive dans la durée, il est crucial que vous appreniez à voir au-delà des apparences et de transformer ces revers en moteurs.

Je ne dis pas que ce sera facile. Mon parcours a été marqué par plusieurs dizaines de projets qui m’ont laissé un arrière goût amer. Ça peut être une déception personnelle, parce que je n’ai pas été capable de réaliser un projet comme je l’envisageais. La déception peut être liée à un partenaire qui n’a pas tenu ses engagements, ou à une relation professionnelle qui n’a pas fonctionné.

L’expérience, loin de rendre ces déceptions plus simples à encaisser, les rend au contraire plus délicates à manœuvrer. D’un côté, parce qu’on se dit « j’aurais dû anticiper » (ce qui est une autre manière de se flageller). D’un autre côté, parce que chaque nouvel événement que l’on perçoit comme un échec interroge notre engagement dans l’écriture. Autant, à mes débuts, j’avais de la facilité à hausser les épaules et à encaisser sans me poser de question. Autant, désormais, chaque nouvelle déception érode ma capacité de résilience. C’est pourquoi j’ai besoin d’une solide stratégie pour me relever après une déception.

Alors, comment réagir face à ces résultats qui ne sont pas à la hauteur de nos attentes ?

1. Prenez le temps de digérer la nouvelle.

Après une déconvenue, accordez-vous un moment pour ressentir vos émotions sans jugement. Vous avez le droit de vous sentir déçu, ce n’est pas un défaut de votre caractère, mais une réaction légitime. Essayer de balayer ses émotions sous le tapis ne fait que les amplifier. Offrez-vous un moment off pour juste ressentir. N’analysez pas, ne rationalisez pas. Soyez en colère, soyez triste. Prenez soin de vous. N’écrivez pas (l’intensité de vos émotions teintera votre production). Ne prenez pas de décision sur votre projet ou votre carrière. Ce moment peut durer quelques minutes ou quelques jours (voire plusieurs mois !), selon l’intensité de votre déception.
À chaud, c’est soit la tristesse qui domine (« j’arrête, je ne suis bon à rien ») soit la colère (« je vais leur montrer de quoi je suis capable ! »). D’un côté ou de l’autre, la réaction est trop épidermique. Bloquer un moment pour laisser vos émotions s’exprimer permet de diminuer leur impact sur la suite du processus et vous aide à analyser la situation avec plus d’acuité.

2. Prenez de la distance

Quand l’émotion sera passée, vous pourrez analyser la situation. Quoique vous ayez vécu, votre carrière n’est finie qui si vous décider de vous arrêter là et de ne plus jamais écrire. Si vous choisissez de continuer, il va falloir que vous réfléchissiez à ce que l’événement vous a enseigné. Une déception nous éclaire tout autant sur le monde de l’écriture (les éditeurs, la communication, les lecteurs, la manière dont le système oriente nos décisions artistiques) que sur nous-même (nos attentes, nos objectifs, nos valeurs, la limite que nous traçons entre compromis et compromission).
La distance se prend en nommant la situation de la façon la plus objective possible. Là où, à chaud, vous auriez tendance à dire : « le milieu est pourri, ça ne marchera jamais, le jeu est truqué en faveur des autres », à froid, vous direz : « j’ai publié un livre, j’ai posté trois fois sur Facebook, et j’ai fait 3 ventes ». Ou, « j’ai envoyé mon manuscrit en bêta-lecture à Maurice il y a treize jours » au lieu de « je le savais, mon bouquin est atroce et Maurice n’ose pas me le dire ! ». Prendre de la distance, c’est revenir au neutre.
Notez ce que vous avez vécu en enlevant toutes les distorsions, exagérations, généralisations, projections générées par vos émotions.

3. Revenez au sens

La prochaine étape, c’est de trouver du sens. Il ne s’agit pas ici de fabriquer un sens arbitraire à l’évènement qui vous a déçu, mais de renforcer le sens préexistant de votre démarche d’auteur, en l’enrichissant de l’événement dont vous venez de faire l’expérience.
Commençons par le commencement : vous n’écrivez pas pour rien. Vous n’écrivez pas non plus pour la validation extérieure qui peut venir des retours d’un lecteur ou d’un éditeur. Vous écrivez d’abord pour exprimer quelque chose de votre expérience du monde. Peut-être qu’écrire vous permet de ralentir le temps pour mieux apprécier un instant particulièrement savoureux de votre existence. Peut-être que c’est un moment de calme que vous vous offrez au milieu de l’agitation du quotidien. Peut-être que vous aimez écrire des histoires parce qu’elles sont le meilleur véhicule pour vous promener dans votre imaginaire. Peut-être, enfin, que vous écrivez pour trouver de la beauté, parce que de temps en temps, dans la masse des mots qui émergent sous vos doigts, quelques pépites surgissent.
Avant de prendre la moindre décision pour la suite, commencez par vous poser cette question : qu’est-ce que cet événement me rappelle ou m’apprend de comment je tire du sens de mon écriture ? Alors je sais bien, quand on emploie le mot « sens », tout de suite on s’imagine un truc compliqué, fait de concepts philosophiques complexes et de machins existentiels intelligents. Le sens, ça peut aussi être : « ça me fait du bien », ou : « c’est beau », ou juste : « j’aime bien quand c’est comme ça ». Pas besoin d’aller trop loin. Si ça vibre dans votre ventre, c’est suffisant.
Il n’est pas rare que nos déceptions viennent moins des évènements eux-mêmes que de la perte de sens qu’ils mettent en exergue. La perte de sens dont il est question ici peut s’étendre d’un simple écart par rapport à vos valeurs artistiques jusqu’à une crise créative intégrale. Vous pouvez être déçu de ne pas gagner un concours d’écriture dans lequel vous vous étiez investi en accord avec mes valeurs créatives, par exemple. Dans ce cas la déception est circonscrite à l’espoir que vous aviez de remporter le concours, mais le sens que vous mettez dans votre travail d’auteur n’est pas affecté.
À l’inverse, si vous mettez de côté votre univers et votre style pour répondre à la commande d’un éditeur en échange de la promesse d’une collaboration éditoriale qui vous enthousiasme, vous pouvez remettre en question toute votre pratique si la promesse n’est pas honorée. Dans ce cas, la déception ne sera pas liée uniquement à un résultat externe comme dans le cas du concours, mais à la distance que vous avez prise par rapport à ce qui est juste pour votre écriture et votre épanouissement artistique.
Prenez le temps de faire un point sur ce qui donne sens à votre pratique avant de passer à la prise de décisions. Celles-ci n’en seront que plus pertinentes.

4. Prendre des décisions

On y est ! Le moment que vous attendiez et sur lequel vous vouliez vous précipiter. Vous avez vécu votre émotion. Vous avez remis les évènements au neutre. Vous avez reprécisé comment votre écriture avait du sens pour vous. Maintenant, vous pouvez vous positionner par rapport à l’événement. Qu’allez-vous faire de ce projet ? Le continuer ? L’arrêter ? L’aborder différemment ? Comment allez-vous redéfinir votre place dans la relation ? Parfois vous pourrez abandonner un projet (pas de problème avec ça !), d’autres fois vous serez lié par un contrat et il faudra plutôt réévaluer votre investissement parce que vous ne pourrez pas vous retirer. L’heure peut être à La persévérance ou au lâcher-prise, l’important c’est que vous soyez au clair avec la direction dans laquelle vous voulez aller. Grâce à cette clarté, vous pourrez choisir comment ajuster la suite de votre pratique de façon à éviter les déceptions avec vos prochains projets. S’agira-t-il d’éviter certaines commandes à l’avenir, ou de mieux en préciser les conditions ? Privilégierez-vous certains genres ou formats ? Au contraire, il se peut que vous n’ayez pas été assez loin dans la direction que vous aviez choisie et que ce manque d’assurance soit à la source de votre déception. Dans ce cas, doublerez-vous vos efforts ? Toutes les réponses sont possibles, c’est à vous d’évaluer au cas par cas, en fonction de la situation et du sens que vous en avez tiré.

5. Définissez le succès pour vous

Personne ne peut décider à votre place à quoi ressemble le succès de votre carrière d’auteur. Des auteurs mesurent le leur au nombre de livres vendus. D’autres à la richesse créative de leur œuvre. Quelques-uns s’enorgueillissent de rester dans les marges et l’expérimentation. C’est à vous que revient la responsabilité de déterminer ce qui est important pour vous. Tout le monde (les lecteurs, les éditeurs, les journalistes, les autres auteurs, jusqu’à vos proches, même ceux qui, pourtant, ne lisent pas) essaiera de vous expliquer ce qu’est le succès pour un auteur. Malgré la bonne volonté de tous ces interlocuteurs, personne d’autre que vous ne sait à quoi ressemble une pratique créative épanouie pour vous. C’est à la fois très libérateur et très lourd à porter. Vous serez tenté par les définitions du succès des autres (réussir à leur manière est un bon moyen de les faire taire). Comme tous les artistes, vous doutez de vous et de vos choix, alors c’est séduisant de vous dire qu’il suffit de cocher quelque cases pour être comblé. Pourtant, comme le dit Lynda Barry, un bon projet ne se contente pas de satisfaire votre ambition artistique, il la fait évoluer. Si tout se passe bien, atteindre votre objectif donnera naissance à autre objectif, plus précis, mieux affiné. Ne définissez pas le succès comme on tracerait une ligne d’arrivée qui, une fois franchie, signifierait que ça y est, on est arrivé, on en a fini avec l’écriture. Au contraire, définissez-le comme un cap vers lequel orienter votre barque et qui ne cesse de reculer. Le but n’est pas d’arriver. Il est de pouvoir continuer. Après tout, si l’acte d’écrire enrichit votre vie, n’avez-vous pas envie de continuer à le pratiquer aussi longtemps que possible ?

6. Entourez-vous d’autres auteurs

L'écriture peut être une activité solitaire, mais cela ne signifie pas que vous devez en affronter seul les défis. Rejoignez des ateliers d'écriture ou des groupes de soutien pour auteurs. Partagez vos expériences et écoutez celles des autres. Vous serez surpris de voir combien d'auteurs ont traversé des moments similaires. Quand vous êtes seul face à vos difficultés et vos doutes, c’est facile de les prendre trop au sérieux. Passez quelques semaines avec d’autres auteurs et vous verrez à quel point ces déconvenues sont communes. Il ne s’agit pas de banaliser votre ressenti (ça fait mal, personne ne le nie !) mais de normaliser l’expérience d’une pratique et de projets qui obéissent à leurs propres règles. Quand vous acceptez que les creux de vague font partie du job pour tout le monde, vous avez beaucoup plus de mal à vous dire que vous devriez tout arrêter à chaque fois que la machine se grippe un peu. La vérité crue c’est que l’écriture n’est pas linéaire. Elle est chaotique. Les outils et les supports méthodos que nous développons nous aident juste à surfer avec un peu plus de fluidité. Il faut l’avoir vécu soi-même plein de fois pour commencer à l’entrevoir. Ça peut prendre des années si vous n’êtes pas une machine de productivité ! Vous entourer d’autres auteurs permet d’accélérer cet apprentissage puisque vous bénéficiez directement de l’expérience des autres. Je ne compte pas le nombre de fois où j’ai été soulagé par les difficultés de mes pairs. Ça n’empêche pas de les soutenir, au contraire. Se reconnaître dans l’expérience d’autrui est un formidable accélérateur d’empathie, envers l’autre et envers soi-même.

7. Continuez à Écrire

Enfin (et c’est peut-être le conseil le plus important), continuez à écrire. Les résultats décevants peuvent nous inciter à abandonner notre plume, mais il est crucial de persévérer. Chaque mot publié renforce vos compétences et affine la singularité de votre voix d’auteur. En vous rappelant de pourquoi vous écrivez, vous alimentez le feu de votre motivation. Continuer à écrire vous permet aussi de vous éloigner plus vite du projet qui vous a déçu. Si vous ruminez, vous stagnez. En passant au projet suivant, vous propulsez votre déception dans votre passé, où elle perd de son emprise sur votre moral, votre pratique et votre progression. Une fois que vous avez procédé aux réajustements dont je vous ai parlé aujourd’hui, lancez-vous à fond dans votre prochain projet. Bientôt, la déception que vous ressentez aujourd’hui ne sera qu’un souvenir d’autant plus vague qu’il sera enfoui sous la pile de vos nouveaux projets.

Faire face aux résultats décevants n'est jamais facile, mais c'est aussi une étape inévitable sur le chemin vers la maîtrise artistique et personnelle. Acceptez vos émotions, apprenez de chaque échec et trouvez du soutien autour de vous. Prenez du recul si nécessaire et redéfinissez ce que signifie réussir pour vous-même. Et surtout, continuez à écrire! Car chaque mot est un pas sur votre itinéraire d’auteur. Entourez-vous d’un groupe de pairs, bénéficiez des expériences d'autres auteurs (nous sommes tous dans le même bateau) et partagez le récits de votre résilience. Nous en sortirons collectivement plus solides.

Partagez en commentaire la plus grande déception de votre parcours d’auteur et ce qu’elle vous a appris.

D'ici là, écrivez bien !

Anaël

Merci d'avoir lu cet article! Si vous avez apprécié ces conseils ou souhaitez partager vos propres expériences face aux résultats décevants dans l'écriture, laissez un commentaire ci-dessous ou rejoignez le Mastermind pour développer votre stratégie de résilience.